En France, plus de 70 000 enfants vivent dans des familles d’accueil, pas avec leurs parents. Placés par l’Aide Sociale à l’Enfance, ils sont hébergés au sein de foyers chaleureux, dont la mère, ou le père, est assistant familial. Sous leur toit, ces professionnels les aident à grandir, et à reprendre confiance.

L’accueil familial est le premier mode d’hébergement utilisé par l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) pour loger les enfants qui lui sont confiés. On appelle « assistant familial » une personne qui accueille un ou plusieurs jeunes en difficultés à son domicile. Ces derniers sont salariés des services de leur département ou d'une association d'aide à l'enfance. La famille de l’assistant familial devient alors ce qu’on appelle une famille d'accueil. En 2019, le nombre d’assistants familiaux en activité avoisinait les 40 000, et accueillaient 76 000 enfants selon le ministère des solidarités et de la santé.

Patricia Imbert : « Je suis assistante familiale »

Patricia Imbert accueille des enfants chez elle depuis seize ans. Auparavant adjointe administrative au CHU de Nice, elle réside désormais à La-Fare-les-Oliviers (Bouches-du-Rhône) avec son mari et leurs deux enfants. Elle a ouvert sa porte et son cœur à six enfants placés. Jamais en même temps… Mais, comment décide-t-on de devenir famille d’accueil ? Ce n’est pas un choix que l’on prend à la légère. Lors d'une réunion d'information sur le métier d'assistante maternelle, Patricia en a appris plus sur l’Aide Sociale à l’Enfance et le métier d’assistante familiale. Elle a immédiatement senti que c’était sa vocation.

Elle se lance dans les procédures pour devenir assistante familiale. Il faut obtenir un agrément délivré par les services de son département. Plusieurs conditions sont requises. Le but de cet agrément est de garantir la sécurité et l’épanouissement des enfants accueillis. Il faut : avoir la nationalité française, ne pas avoir été condamné pour des faits en relation avec des enfants, passer un examen médical assurant que son état de santé (physique et mental) permet d'accueillir des enfants. Enfin, présenter un domicile garantissant la sécurité et la santé des enfants accueillis, ainsi que leur épanouissement physique, intellectuel et affectif. Ajoutons à cela la nécessité de suivre un stage préparatoire d'une durée de 60 heures avant l’accueil du premier enfant, puis une formation en alternance de 18 à 24 mois, durant les trois années qui suivent.

Accueillir un jeune chez soi provoque des changements dans la vie familiale, notamment avec ses propres enfants qui doivent apprendre à vivre avec un autre. Patricia reconnaît que son métier a impacté sa relation avec ses enfants.

« Ça demande beaucoup de remise en question pour ne pas leur faire de mal. J'ai compris que je devais discuter plus avec mes enfants, et que ce métier ne changeait rien à l'amour que j'ai pour eux. » En revanche, l'organisation à la maison n’a pas changé, le but étant de donner à tous les enfants de la maison le même cadre. En tant qu’assistante familiale, Patricia travaille à domicile et a donc tout le temps nécessaire pour s’occuper de l’enfant qui lui a été confié et l’emmener voir les éducateurs régulièrement.

« Ce sont assez fréquemment des enfants émotionnellement fragiles qui ont besoin d’être suivis thérapeutiquement ».

Un métier fatiguant, fort en émotions

Le métier a son lot de difficultés. Travailler à domicile nécessite une adaptation pas facile pour tout le monde. « Si on peut penser que ça donne plus de temps pour tout, il faut au contraire une bonne organisation. Et surtout il faut pouvoir être disponible pour tous : ses propres enfants comme pour le jeune qu’on accueille ». Les assistants familiaux sont régulièrement en lien avec les services sociaux, mais là aussi la relation n’est pas toujours facile comme le dit Patricia : « C'est compliqué car les décisions sont prises pour nous alors qu'on vit avec l'enfant au quotidien ».

Elle trouve aussi que son métier n'est pas assez valorisé et qu’il est mal payé pour les difficultés qu’il représente. Le salaire pour s’occuper d’un enfant équivaut à celui d’un agent de la fonction publique, basé sur des horaires de bureaux. Ce qui est illogique pour ce métier qui demande de l’attention à toute heure du jour ou de la nuit : « On n’arrête pas de s’occuper d’un enfant à 18h ! »

Certaines familles cessent d'accueillir parce qu'elles sont épuisées. Ces enfants ont souvent des difficultés psychologiques en grandissent, notamment lorsqu’ils comprennent pourquoi ils ont été placés. Ils ont un problème d’identification, ils sont en colère ou se sentent abandonnés et cherchent à comprendre leur situation.

Ce métier hors du commun apporte beaucoup de satisfactions. Comme aider un enfant à se sentir mieux, devenir le confident de cet enfant, le voir heureux lors des repas de Noël. « Pour moi, quand un enfant réussit à se dessiner un avenir, c'est que la famille d'accueil a réussi sa mission, qu’elle a bien fait les choses », raconte la mère de famille. Elle est d’ailleurs très fière de son métier qu’elle juge primordial à l’aide à l’enfance.

Lorsqu’un juge décide qu’il faut enlever les enfants d'un cadre parental qui leur est nocif, il est très important de leur offrir un cadre familial pour les aider à se reconstruire. « On protège un enfant dont les parents sont déficients. On l'accueille, on lui réapprend à vivre et on l’aide à grandir dans l’amour. »

Estelle Imbert, 22 ans, étudiante : « Ma famille accueille des enfants placés »

Comment avez-vous vécu de grandir avec ces enfants ? Comment étaient vos relations ?

Pour moi c’était normal, j’ai toujours grandi avec un autre enfant à la maison. En fait, je ne me rappelle d’aucun moment où on a juste été quatre : mon frère, mes parents et moi. Comme j’ai toujours su que le travail de ma mère est d’accueillir des enfants dans le besoin, j’ai fait la différence entre ces enfants et ma famille. Même si j’ai grandi avec Enzo pendant plusieurs années, je ne pourrais pas dire que c’était comme avoir un autre frère.

Avez-vous eu l’impression que votre enfance était différente de celle des autres ?

Quand j’étais chez moi, non. Par contre, j’ai vite compris que ma vision des choses n’était pas « normale » du point de vue des autres. J’allais à l’école avec Enzo, je vivais avec lui… Quand je disais que ce n’était pas mon frère, on aurait dit que les gens me prenaient pour une horrible personne. Ils ne comprenaient pas que je fasse la différence. Cet aspect n’était pas forcément facile à vivre mais avec le recul j’ai pris conscience que tout le monde ne pouvait pas comprendre cette vie différente.

Si c’était à refaire, changeriez-vous quelque chose ?

Alors, oui… et non ! J’ai des regrets vis-à-vis de ma mère, ça c’est sûr. Je sais que malgré la joie que son métier lui a apportée, elle en a aussi beaucoup souffert. Je l’ai vu plusieurs fois se négliger, s’oublier au profit de notre bien-être et de celui des enfants. C’est un travail fatiguant car il n’y a pas d’horaires, et je trouve notamment qu’elle n’est pas assez payée au vu de ce qu’elle donne à ces enfants. Mais d’un autre côté, quand je vois les moments forts qu’on a vécu et comment ma mère se bat pour ces enfants et tout l’amour qu’elle leur porte… non je ne changerai rien au final. Cette vie un peu différente m’a donné une grande ouverture d’esprit que je n’aurais pas eu si nous n’avions pas accueilli ces enfants et leurs problèmes. J’y ai aussi appris la notion de partage et d’entraide car, notamment avec Enzo, j’aidais ma mère à mon niveau et je participais à son travail. Enfin, je pense que cette vie m’a aussi poussée à prendre mon indépendance assez tôt, pour soulager ma mère. Je savais que c’était dur de s’occuper de ses enfants en plus d’un autre. Je dirais donc que cette expérience m’a permis d’être celle que je suis aujourd’hui.

Sylvie Binaux Dillet, 37 ans : « J’ai été une enfant placée »

« Ma famille d'accueil ressemblait ni plus ni moins à une famille ordinaire quoiqu’un peu nombreuse je l'avoue... Le couple qui m’a accueillie avait déjà quatre enfants à eux et aussi deux en accueil lorsque je suis arrivée. J’ai été placée en urgence quand j’avais seize ans à cause de maltraitances de la part de mon beau-père. Je n’y suis restée qu’un an, mais ça a été une magnifique année. Après ça, je suis partie pour mes études et c'est un foyer qui a repris le relais jusqu'à ma majorité. Même si je ne suis pas restée longtemps, j'ai toujours gardé une bonne relation avec cette famille. Malgré le fait que je ne les vois pas souvent, nous avons pu rester en contact grâce aux réseaux sociaux. Je leur suis reconnaissante pour leur accueil. Plus largement, je pense que le rôle de ces familles est important : il est primordial pour un jeune d’avoir le cadre d’une famille pour pouvoir se reconstruire. Ça permet aussi de se rendre compte que les choses ne sont pas toujours pareilles : ce n'est pas parce que nous avons eu de mauvaises choses dans la vie qu’elles doivent se répéter et que nous n’avons pas le droit au bonheur. »

Textes et photos : Mathilde Gibillino