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« Personne ne vous croira ! » La devise de la Guyane n’a jamais eu autant de significations que lorsqu’on se retrouve en plein milieu d’un bidonville, en France. Un slogan lancé par le comité du tourisme au début des années 2000 qui souligne les trésors de la culture et des paysages de la région d’outre-mer mais aussi ses dysfonctionnements. Le seul territoire français d’Amérique latine, entouré par le Brésil au sud et le Surinam au nord, connaît d’importantes vagues migratoires depuis des années. D’après les dernières données de l’INSEE, un tiers de la population de la Guyane était de nationalité étrangère en 2020. L’étude révélait que 53% de la population vivait sous le seuil de pauvreté : une personne sur deux touche donc moins de 1 010 euros par mois. Avec la Covid-19, les conditions de vie des habitants se sont aggravées. Les principales victimes sont les migrants, en situation irrégulière, sans emploi, sans diplôme et sans nationalité française. Dans l’incapacité financière de trouver un toit, ils se sont résolus à vivre sous des tôles et des draps. C’est la pauvreté d’individus isolés et désespérés qui habite les bidonvilles de la France verte.

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C’est une petite ville dans une ville. Coiffeurs, bars, restaurants, plantations, supermarchés, garages et lavabos occupent l’espace. Ces gens ont leur propre mode de vie qu’ils se sont créé en quittant leur pays. À Kourou, principal poumon économique de la région avec le centre-spatial, le bidonville des Saramacas accueille des migrants venus des pays limitrophes pour tenter de construire une autre vie. Ce sont des descendants d'esclaves d’origine africaine emmenés au Suriname pour travailler dans les plantations. Le salon de coiffure du village est situé à l’entrée, c'est une pièce minuscule où se trouve un coiffeur d’une trentaine d’années en plein travail, et trois clients assis derrière lui, attendant leur tour. « Je vis dans ce bidonville depuis 10 ans, ma famille vient du Suriname. Je n’ai pas de papiers français, la coiffure dans ce village est mon gagne-pain. J’aimerais ouvrir mon propre salon [légal] lorsque j’aurai mes papiers ». N’Djuka ne parle pas français, c’est l’un des clients qui effectue la traduction. Lorsqu'on lui parle de politique, il s'exclame qu'elle ne sert plus à rien. « Le maire de Kourou n’aide pas les gens, il n’apporte aucune réponse. Je me suis assez battu, je suis épuisé de la situation ». Après avoir demandé à deux reprises des papiers français auprès de la Préfecture de Cayenne, il n’a obtenu aucune réponse.  

 

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Limiter l’immigration et favoriser l’expulsion

Depuis l’été 2019, Marc Del Grande, préfet de Guyane, s’est fixé pour objectif d’évacuer un quartier d’habitants illicite par mois. Son but était clair, décourager l’immigration illégale sur son territoire. La loi ELAN de 2018 relative aux logements autorise l’évacuation de ce type d'installations par simple arrêté préfectoral. Une décision qui a entraîné de nombreux déplacements sans arranger la situation. « On les pousse dans un coin mais il repartent dans un autre, l’expulsion ne fait que déplacer le problème », soupire une professeure du secondaire vivant à Kourou, près d'un bidonville. Elle explique que les forces de l'ordre sont obligées d’intervenir pour expulser les habitants des bidonvilles mais les relogements sont insuffisants. Le lien entre ces populations et les Guyanais n’ont pas le temps de se créer pour tenter de trouver une solution. « Aucun climat de confiance n'arrive à s’installer entre les populations des bidonvilles et les forces de l'ordre. » Les favelas à la française sont en grande majorité en situation irrégulière. Le constat est affligeant. Les branchements sont sauvages, les déchets sont par terre et la plupart des personnes n’ont pas de papiers et survivent dans des cases sous des tôles. Depuis plusieurs années, les politiques d’expulsion sont prônées par les élus locaux comme la solution pour parvenir à démanteler les bidonvilles guyanais. Mais aujourd’hui encore, en 2022 et en France, la pauvreté et le désespoir des habitants restent sans issue. La prise de conscience de ces conditions de vie est tellement difficile à se représenter et à imaginer que c’est à ce moment précis que la devise guyanaise prend tout son sens.

Tessa Jupon