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Roger Federer avait annoncé, jeudi 15 septembre, qu’il prenait sa retraite à l’issue de la Laver Cup. Une déclaration qui avait suscité un torrent de réactions et une grande émotion. Réactions peu étonnantes, au regard de l’empreinte que le champion a laissée dans le monde du tennis, en raison de sa technique, de son palmarès ou encore de son style. Au lendemain de son dernier match, retour sur le parcours du « Maestro ».
La technique au service du mythe
Aérien, léger, gracieux, élégant, harmonieux… Ces qualificatifs peuvent aussi bien désigner la chorégraphie d’un danseur étoile que le tennis de Roger Federer. Quand il rentre sur le court, le Maestro offre lui aussi un véritable spectacle. Artistiquement, tous ses coups flirtent avec la perfection. Mais à la différence d’un danseur, l’esthétisme n’est pas son but unique. Il s’agit d’un moyen de réciter sa partition, celle d’un jeu offensif qui l’a mené vers les sommets du tennis.
Car oui, cette technique parfaite est avant tout d’une efficacité redoutable. Il suffit de jeter un œil au palmarès du Suisse pour s’en rendre compte. Si le jeu de Federer demeure sans aucun doute le plus agréable à regarder de l’histoire du tennis, il est avant tout particulièrement complet. Un touché qui frôle l’insolence, des variations incessantes, un coup droit létal, une volée minutieuse, un service illisible et puissant, un revers à une main unique… Sa panoplie semble infinie. Le plus fou dans tout ça ? L’impression de facilité qu’il dégage raquette en main.
Un génie mais aussi un travailleur
Avec lui, tout paraît simple. Bien évidemment, ce n’est qu’une illusion. On ne devient pas l’un des plus grands sportifs de l’histoire sans sacrifice. Si son immense talent est irréfutable, l’homme aux 20 titres en Grand Chelem n’a pas compté ses efforts à l’entraînement pour en arriver là. De son propre aveu, sa volée était défaillante lors de ses années chez les juniors. De même pour son revers qui a longtemps été la cible de Rafael Nadal lors des premiers affrontements entre les deux rivaux devenus amis. Maladroitement, on a pu qualifier l’Espagnol comme le guerrier et le Suisse comme le génie. Mais Federer est lui aussi un bourreau de travail et n’est pas devenu « Monsieur tennis » du jour au lendemain. Son extraordinaire longévité permet d’ailleurs de le rappeler.
Sa technique si soyeuse concorde d’ailleurs parfaitement avec sa personnalité. En toutes circonstances, l’Helvète dégage un charisme et une classe inégalables. Comme si son jeu sur le terrain avait permis de renforcer sa légende hors des courts. Il y a de bonnes chances que Nadal et Djokovic le dépassent sur le plan strict des résultats sportifs. Mais « Rodger », avec la beauté et la créativité de son tennis, restera toujours le numéro un dans le cœur des fans. Sa technique a même un héritage. Alors que le revers à une main mourait à petit feu, il revient en force par l’intermédiaire de Tsitsipas, Shapovalov, Dimitrov (surnommé « Baby Fed »), Thiem, Musetti… Tous ont partagé la même idole d’enfance : Federer. Mais avant de se « rabattre » sur ses successeurs, le public a pu contempler la version originale une dernière fois. Une version unique et inimitable. C’était lors de la Laver Cup où le Maestro a offert une ultime danse.
Raphael Hazan
Un palmarès extraordinaire
Si l’on a coutume d’installer les trophées que l’on remporte sur une étagère, pour Federer un musée serait plus approprié. Et cela, autant pour le prestige de son palmarès, que par la quantité de tournois remportés. Son histoire commence en 1998, année où il débute sa carrière dans le monde professionnel. L’année suivante, Federer soulève son premier trophée, l’Open de Brest en France.
Puis c’est en 2003 que naît le champion. Après des titres à Marseille, Dubaï, Munich, le Suisse se révèle dans son tournoi favori : Wimbledon. Sur les pelouses de Londres, Federer va soulever son premier Grand Chelem, et débuter un règne avec le tournoi britannique. L’année suivante à seulement 22 ans, Roger Federer devient le meilleur tennisman du monde. Open d’Australie, US Open, Wimbledon, le joueur gagne les plus prestigieux trophées du tennis, et devient numéro un. Cependant, fin mars 2004 lors d’Indian Wells, le Suisse va se faire surprendre. Un jeune Espagnol de 17 ans défait le champion, un certain… Rafael Nadal. Ce match constitue le début de l’une des plus belles rivalités dans le monde du sport.
Le règne du Bâlois
Jusqu’à 2008, Federer va connaître un règne sans partage. Tant par son jeu pur que par ses innombrables victoires, le Suisse force le respect. Cependant, cette période voit l’avènement de Nadal, Djokovic et Murray, qui deviendront ses meilleurs ennemis. Ce qui ne l’empêchera pas de soulever son quinzième Grand Chelem à Wimbledon en 2009, et de battre le record de Pete Sampras qui en avait remporté quatorze.
En 2010, Roger Federer est un numéro un mondial accompli. Si la précédente décennie a vu son éclosion, la suivante verra le Suisse arriver au sommet de son art. En 2014, ce n’est pas le joueur qui va briller, mais toute une nation. Puisque le natif de Bâle et ses coéquipiers suisses vont remporter la Coupe Davis, face à une valeureuse équipe de France. En 2017 il gagne son huitième et dernier Wimbledon. L’année suivante, il soulève son dernier titre de Grand Chelem en Australie, ce qui fait du Bâlois le premier tennisman de l’histoire a en avoir remporté vingt.
Car Federer, c’est une machine à gagner, comme en témoigne son palmarès exceptionnel. Effectivement, ce sont 1 251 victoires en 1 526 matchs, 103 trophées en simple, mais c’est aussi un gain en tournoi estimé à plus de 130 millions d’euros. Mais Federer c’est surtout le style, faisant du Suisse le tennisman le plus célèbre de l’histoire.
Hippolyte Arnaud
Roger Federer ou le gendre idéal ?
Au-delà de ses 24 ans de carrière hors du commun sur le circuit ATP, Roger Federer est avant tout un homme avec une personnalité amicale. Certes, il doit une telle réputation à ses records et ses trophées. Et même s’il doit sa renommée à ses exploits sur le court, ce ne sont pas seulement ses résultats qui ont hissé ce joueur au statut de légende. Mais bien le savant mélange entre ses performances et son caractère. Il s’impose comme un homme exemplaire et humble. Tout aussi admiré pour sa qualité tennistique que pour sa simplicité.
Depuis 2004, Roger Federer s’affirme comme le « joueur préféré des fans », prix remis par l’ATP tous les ans. Le secret du « chouchou » des spectateurs ? Sa gentillesse. Le talentueux Canadien, Denis Shapovalov (24ème mondial au classement ATP) l’a affirmé lors de l’Open d’Australie 2019 : « Depuis que je suis arrivé sur le circuit, il a toujours pris le temps de me parler, de me demander comment je vais. Juste par gentillesse, parce qu’il est comme ça. » Une sympathie à toute épreuve. Même dans la défaite, personne n’a vu le « Roi » se plaindre sur le court ou même s’énerver jusqu’à en jeter sa raquette. Que l’on adule ou non le Suisse, en le regardant, tout le monde s’accorde à l’admettre : « Quelle classe ! »
« Comme avec mon meilleur ami »
Le « Maestro » est également quelqu’un de très accessible. « Avec Roger Federer, je me comporte comme je le ferais avec mon meilleur ami, je me permets de le chambrer », avait confirmé l’Argentin Diego Schwartzman (17ème mondial au classement ATP) dans une interview pour ESPN Argentina. En plus d’être doté d’un humour bon enfant, il traite toujours d’égal à égal la personne en face de lui. Peu importe si c’est un journaliste, un fan ou un adversaire. Il donne constamment aux autres la meilleure version de lui-même, autrement dit … simplement Roger.
Par le passé, il a eu le privilège d’être ambassadeur pour l’UNESCO. Matchs de tennis exhibition pour lever des fonds, associations … même lorsqu’il s’agit d’argent, Roger Federer est en tête de file pour la charité. L’élégance et la décontraction qu’il dégage sur le terrain ne sont que le reflet de sa personne. Tout part finalement d’un jeune garçon souhaitant partager son amour pour le tennis. C’est l’histoire d’un passionné qui, grâce à son humanité, a écrit sa légende.
Patrick Latrémolière
Comment la cour a dit adieu à son roi ?
Le temps des rois et des reines semble révolu. Tout du moins, c’est ce que le mois de septembre pourrait nous avoir enseigné. Après le départ à la retraite de Serena Williams, c’est au tour de Roger Federer de tirer sa révérence. Et l’annonce du « King » a déclenché une avalanche de réactions.
Comment ne peut pas débuter alors cette liste de témoignages par ses plus grands « rivaux » : Rafael Nadal et Novak Djokovic. Le premier, et peut-être son meilleur ennemi, était encore sous le choc à la suite de cette nouvelle : « J’espérais que ce jour n’arrive jamais. C’est un triste jour pour moi, personnellement, et pour le sport à travers le monde », a-t-il écrit sur Twitter. Le second a plutôt insisté sur l’image qu’aura laissée Federer tout au long de sa carrière : « Ta carrière a montré ce que signifie atteindre l’excellence et dominer avec intégrité et élégance. C’est un honneur de te connaître sur et en dehors du court, et pour de nombreuses années à venir. »
Porté par l’émotion, l’Argentin Juan Martin Del Potro n’a pas mâché ses mots au moment de rendre hommage au « Maestro » : « JE T’AIME Roger. Merci pour tout ce que tu as fait au tennis et avec moi-même. Le monde du tennis ne sera plus jamais le même sans toi. » Si le Suisse de 41 ans a marqué sa génération, son aura a également touché les nouvelles étoiles montantes du circuit ATP. À commencer bien évidemment par le tout récent numéro un mondial, Carlos Alcaraz : « Roger a été l’une de mes idoles et une source d’inspiration. Merci pour tout ce que tu as fait pour le sport. Je veux toujours jouer avec toi ! »
« Quoi qu’il arrive, c’est ‘’The Goat ‘’ »
Du côté français également, on a pris le temps de glisser un message à la gloire de l’un des plus grands sportifs de tous les temps : « Il a tiré notre sport vers le haut. Quoi qu’il arrive, c’est « The Goat », affirme Jo-Wilfried Tsonga au journal L’Equipe. « Jouer à la même époque que toi fut un plaisir et un privilège », avoue de son côté Gaël Monfils.
Les anciens se sont aussi exprimés. La Tchécoslovaque Martina Navratilova, lauréate de 18 Grand Chelem, a fait une déclaration très forte au natif de Bâle : « Quel message émouvant, plein d’amour, de vie, d’espoir, de passion et de gratitude. Cela reflète parfaitement la manière dont Roger a disputé ce jeu que nous aimons tant. » Icône du tennis dans les années 80, Mats Wilander a eu des paroles très justes à l’égard de l’ancien numéro un mondial sur Eurosport : « D’une certaine manière, Roger Federer a fait entrer notre sport dans le salon de personnes qui n’avaient jamais regardé de tennis et se sont mis à l’apprécier. »
Mais le talent de l’octuple vainqueur de Wimbledon a dépassé les frontières du tennis. Plusieurs grands sportifs ont rendu un vibrant hommage à Federer, à l’image d’une autre légende de son sport, Lionel Messi : « Un génie, unique dans l’histoire du tennis et un exemple pour tout athlète. » Thomas Bach, président du Comité international olympique, y est également allé de son petit mot. « Roger Federer est un gentleman sur et en dehors des terrains. Il est un vrai champion olympique.»
Lucas Emanuel
L’élégance à la Federer
Federer, c’est avant tout le tennis. Mais il n’est pas que cela. C’est aussi un style bien à lui, qu’il a essayé de perfectionner au fur et à mesure des années.
En 1999, au tournoi de Rotterdam, lorsqu’il commence à peine sa carrière, Federer se présente sur le court en blond décoloré. Après cette couleur, il a envisagé les cheveux roux, mais n’a finalement pas tenté l’expérience.
Dès le début des années 2000, le futur champion change radicalement de style. Il revient à une couleur naturelle et se laisse pousser les cheveux. Il évoquait cette période dans les colonnes du magazine GQ : « Est-ce que je regrette d’avoir eu les cheveux longs ? Non, je suis content de les avoir eus et je suis content de m’en être débarrassé. »
Plus une mèche qui dépasse
Vers la fin des années 2000, après avoir mis au placard ses cheveux longs, Federer devient celui que l’on connaît maintenant, avec ses cheveux courts, sans une mèche qui dépasse.
La transformation de son image passera également par une modification radicale de son style vestimentaire. Il est passé d’une chemise d’entraînement, d’un jean et de chaussures de running à un costume cravate.
Après avoir rencontré sa femme, le champion s’est rendu compte qu’il devait entretenir son image. À ce sujet, il expliquait encore dans le magazine GQ qu’il avait réalisé, au fil du temps, « avoir besoin d’un costume et d’une cravate », lorsqu’il défilait sur les tapis rouges.
En tant que personnage connu, il ne peut pas prendre son apparence à la légère. Cette nécessité ne semble pas le contrarier. Il se prend même au jeu de l’habillage et affirme : « J’apprécie le changement, essayer quelques vêtements, et différentes combinaisons. »
Et c’est après la Laver cup, avec la version finale de cette évolution de style et d’image, que Federer fera ses adieux à la scène.