« Tu bois, tu vomis, tu rebois, tu revomis … Mais il n’y a pas d’obligation ou de pression »

Maël, quant à lui, est en troisième année à la faculté de médecine de Nice. Il fait partie d’une association officieuse, en tant que trésorier : Parasite, l’anti-BDE. Son début d’année s’est avéré, comme pour beaucoup, très chargé … en activités et soirées. Open bars, journées défis, apéros rencontres … La liste des possibles semble interminable. En quoi consistent ces fameuses soirées open bar ? « Ce sont de très importants événements, proposés majoritairement en début d’année. Ils ont lieu dans les bars de la ville, comme son nom l’indique. Avec à la fin de la soirée, du vomi de partout sur le comptoir » s’exclame-t-il, amusé. Ces festivités ne tardent jamais à être complètes. Il leur est déjà arrivé de ne plus avoir la moindre place en vingt secondes. Même lorsque cent places sont prévues. « Les kinés ou les dentaires sont également de la partie ».

Mais pourquoi boire autant ? Selon Maël, plusieurs facteurs sont à prendre en compte. Tout d’abord, ces étudiants se situent dans une période charnière. Le mois de septembre, c’est le calme avant la tempête. L’avalanche de polycopiés ne tarde jamais. Alors les étudiants profitent. Un impératif. Ce n’est pas tout, ces soirées s’intègrent dans une tradition. « Cela fait partie du process ». Il est possible de faire des défis, alcoolisés ou non, pour obtenir de fameux pin’s, de différentes valeurs. « Le père d’un ami est médecin et il en conserve précieusement depuis toutes ces années ! » Enfin, Maël insiste sur la notion de respect. « Quand tu as un an de moins, tu ne dois pas faire le malin. Sinon tu sais ce qui t’attend : tu vas boire ». Chaque année est une nouvelle étape difficile à franchir.

Attention, il insiste : la sécurité et la bienveillance restent la priorité. Personne n’est forcé à rien, jamais. Certaines limites ne sont pas franchies. « L’année dernière, un président de BDE en médecine a été contraint d’arrêter ses études car une soirée, « le Rallye piccole », s’est tout de même produite, malgré la pandémie. Il ne sera jamais médecin ». Une bien lourde responsabilité, une bien lourde sentence. Maël l’affirme, les bizutages ayant lieu durant ces soirées doivent toujours amuser, pas traumatiser. A ses yeux, ce type d’événements ne permet pas l’émergence de relations durables entre les étudiants. Les apéros rencontres sont plus propices à l’échange, aux débats, aux rapprochements. Un verre, ou deux, pas plus. Et comment négliger l’importance des défis à réaliser dans la ville de Nice ou les journées accrobranche ? Pour ces challenges, les étudiants agissent en binôme. Parfois avec quelqu’un qu’ils ne connaissent pas. « Faire des bêtises ensemble, sans alcool dans le sang, ça permet de se lier d’amitié. Quand tu es éméché, les gens ne se rappellent parfois même pas de toi le lendemain. Sans oublier le fait que tu n’es pas totalement toi-même ».

« J’ai subi, et j’ai dû faire subir »

Une lutte palpable contre la violence et les traumatismes semblent se confirmer dans les universités. Tous les événements de début d’année sont-ils aussi bien encadrés et bienveillants ? Rien n’est moins sûr, malgré les efforts croissants. Max habite sur l’île de la Réunion et est en hypokhâgne. « Je n’ai pas été bizuté dans un cadre scolaire habituel. Mais j’en ai fait l’expérience. Et celle-ci a tout simplement été traumatisante ». A 9 ans, il intègre un club sportif, dans lequel il se rend plusieurs fois par an. Il y exerce plusieurs activités durant la journée.

« Le paintball est indissociable d’un moment de plaisir dans la tête d’un enfant ». Mais cette activité s’est révélée être à l’opposé d’un simple instant innocent et amusant. Le rêve s’est rapidement transformé en cauchemar. « Les plus grands, d’environ 15 ans, alignaient les perdants, donc généralement les plus petits, contre un mur. Je vous laisse imaginer la suite » confie-t-il, une certaine émotion encore perceptible dans la voix. Ils tiraient alors les balles restantes. Hélas, le paintball n’était pas le seul sport où les bizutages avaient lieu. Le tennis était un véritable moment de supplice. En service, ils tiraient encore une fois sur les perdants. Mais ici, aucune zone corporelle n’était épargnée : entrejambe, poumons, cœur … De même en natation, certains jeunes devaient rester de longs instants sous l’eau. « Certains enfants ne voulaient même plus remonter par peur des conséquences. Des fois la frontière entre bizutage et esclavage est très fine ». Max avoue avoir vu un enfant se mettre à quatre pattes pour qu’un adolescent, assis, puisse y déposer ses pieds. Sans comprendre ce qui lui arrivait. « A cet âge-là on n’a pas conscience de la gravité de ces actes et on ne dit rien, car on veut être accepté par les plus grands ».

Malgré tout, Max parvient rapidement à se faire sa place dans le club. Et la situation empire. « J’aurais préféré rester un bizuté que devenir bizuteur ». Une véritable souffrance, un rejet. Ces bizutages perduraient dans le temps, jusqu’à ce que quelqu’un finisse par se plaindre à la direction en cours d’année. Mais ils reprenaient, toujours. « Ce n’était pas un milieu sain. L’ambiance était très snob, dite Saint-Gilloise chez nous ». Pourquoi ce besoin d’humilier ? « C’est le moment où tu n’es pas un adulte, mais tu n’es pas vraiment un adolescent non plus. Tu cherches ta place. Certains voulaient se prouver qu’ils étaient supérieurs » suppose Max. Il ajoute que ces enfants faisaient généralement partie d’une certaine catégorie sociale. Leur éducation étant parfois stricte, ils cherchaient peut-être à « inverser la tendance ». On ne peut pas, selon lui, parler d’une profonde volonté d’humilier, de détruire. Certaines zones d’ombre semblent donc encore avoir besoin d’être éclaircies sur ces événements destinés aux jeunes.

Elisa Hemery