Quatre générations de photographes – Henry, Hugo, Jean et Jean-Éric Ely – ont traversé trois siècles pour capturer l’âme d’Aix-en-Provence sous l’appellation « Photographies Henry Ely-Aix ». De la fin du XIXe siècle à aujourd’hui, cette famille a immortalisé l’évolution de la ville à travers ses transformations sociales, architecturales et culturelles. L’exposition actuelle (accessible jusqu’au 27 octobre) dévoile une sélection d’images prises entre 1930 et 1950, période marquée par les tumultes de la Seconde Guerre mondiale, mais aussi par le renouveau qui a suivi. Avec un fond d’archives exceptionnel de plus de deux millions de clichés, Jean-Éric Ely, dernier héritier de la lignée, a consacré six mois de travail minutieux pour trier et sélectionner les œuvres exposées. Chaque photographie a été choisie avec soin pour illustrer des moments clefs de l’histoire d’Aix-en-Provence.
Une scénographie immersive au cœur de l’histoire
Les tirages présentés sont bien plus que de simples clichés. Cette collection offre une immersion dans la vie quotidienne d’Aix, capturant non seulement les grandes dates de l’histoire, mais aussi les détails intimes des rues, des habitants. Chaque image, qu’elle représente un événement historique majeur ou une scène plus banale, participe à la création d’une mémoire collective, tissée de génération en génération. L’exposition propose une véritable expérience sensorielle. La scénographie, fluide et immersive, invite le visiteur à se déplacer à travers l’histoire comme on suivrait un film documentaire. L’agencement des photographies dans les différentes salles thématiques crée une progression temporelle et narrative. L’approche minimaliste des textes explicatifs renforce l’impact visuel : ici, ce sont les images elles-mêmes qui racontent les histoires.
Le parcours débute par une plongée dans les années sombres de la Seconde Guerre mondiale. Dans la première salle, le visiteur est confronté à des clichés poignants de la collaboration sous le régime de Vichy, illustrant la répression et l’occupation nazie. Parmi ces images, l’une d’entre elle montre un groupe de jeunes enfants levant le bras en signe de salut nazi, imitant des soldats en uniforme. Une autre fait apparaître une enfant d’origine juive avec une assiette presque vide, illustrant la dure réalité des privations et de l’exclusion. La scénographie fait écho à cette période sombre à travers des photographies d’affiches de propagande, et des scènes de la vie sous l’occupation, parfois choquantes pour le public. Certaines images dévoilent des corps sans vie de soldats abattus témoignant d’une lutte acharnée et d’autres illustrant des résistants exécutés en pleine ville. Mais cette obscurité cède progressivement la place à la lumière avec des images saisissantes de la Résistance et du passage du Général de Gaulle à Aix-en-Provence. Une salle entière est dédiée à la Libération, marquée par des scènes de liesse populaire et des moments historiques tels que la célébration du 8 mai 1945. On y découvre également les premiers pas de la reconstruction après la guerre, avec des clichés des nouvelles infrastructures et des habitants tournés vers l’avenir.
Un héritage familial au cœur de la ville
Initialement, la famille Ely conservait ces précieuses archives dans un studio de 200 m² situé dans le passage Agard, sur le célèbre Cours Mirabeau. Aujourd’hui, le studio n’existe plus physiquement mais les locaux ont été déplacés place de la Rotonde. Une visite virtuelle via un écran interactif permet au visiteur de se déplacer au sein du studio : un projet novateur qui permet au visiteur de profiter d’une immersion dans un lieu chargé d’histoire et de se déplacer de pièce en pièce, de quoi retranscrire l’âme du bâtiment.
L’exposition attire en moyenne 2000 visiteurs par mois, un succès inattendu pour une collection familiale. Cet engouement témoigne de l’importance de ce patrimoine pour les Aixois, mais aussi pour les visiteurs fascinés par cette mémoire photographique unique. Jean-Éric Ely, photographe de père en fils, exprime une affection particulière pour ces clichés qui traversent les générations depuis 134 ans. Pour lui, la photographie n’est pas seulement un art, mais un véritable témoin du passé : « La photo est une mémoire fixe qui ravive les souvenirs et invite à l’imaginaire ». Au regard du succès de cette exposition, Jean-Éric Ely envisage déjà l’avenir avec ambition. Il rêve de développer ce projet à plus long terme, dans un espace encore plus grand, sur plusieurs étages d’un immeuble entier. Son souhait est de transformer cette collection en un véritable centre d’archives vivantes, avec des conférences animées par des historiens, des ateliers pour enfants et des séances d’initiation à la photographie argentique.
« Les archives sont faites pour vivre », souligne Ely. En tant que dernier héritier de cette lignée de photographes, il se sent investi d’une mission : éveiller des émotions à travers les images, et permettre à chaque visiteur de revivre l’histoire de la ville à travers ces clichés, parfois même de reconnaître des visages familiers. Entre ombre et lumière, l’objectif des Ely capte plus qu’une image : il éclaire l’histoire d’Aix pour mieux la transmettre aux générations futures. Il finit sa présentation par une citation qu’il affectionne particulièrement, d’un écrivain Uruguayen Eduardo Galeano « L’histoire ne dit jamais vraiment « au revoir ». L’histoire dit « à plus tard » ».
Julie Deichelbohrer