©Colombe Laferté
Le 30 octobre 2023, dans son discours pour l’inauguration de la cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, Emmanuel Macron déclarait : “Dans cette langue, le masculin fait le neutre. On n’ a pas besoin d’y rajouter des points au milieu des mots, des tirets, ou des choses pour la rendre illisible.” Le même jour, le Sénat adoptait à 221 voix pour et 82 contre une proposition de loi de la droite visant à “protéger la langue française des dérives de l’écriture dite inclusive” dans les documents juridiques. L’écriture inclusive, au centre des débats politiques et sociétaux, est – elle l’avenir de la langue française ?
Les arguments des promoteurs de l’écriture inclusive sont nombreux. Si le principe “les femmes sont les égales des hommes” tente de faire sa place dans la société, la règle orthographique française n’en a que faire : le masculin l’emporte, et ce même si le sujet de la phrase est un groupe composé de 99 femmes et un homme. Les propositions pour faire changer les mentalités sur l’égalité homme-femme par le langage au pays des droits de l’Homme (et de la Femme ?) se succèdent : féminisation des noms des métiers, favorisation des formules épicènes (droits humains plutôt que droits de l’Homme), utilisation du néologisme“iel”: pronom neutre et non-binaire, ou encore doubles flexions (celles et ceux), points médians, tirets, parenthèses pour exprimer à la fois le masculin et le féminin.
Le 30 octobre, Mathilde Ollivier, sénatrice Les Écologistes (ex-EELV) déplorait notamment face à ses homologues : “l’histoire française de ces derniers siècles est marquée par le patriarcat. L’écriture inclusive fait partie de la solution pour le battre. (…) Vous vous battez contre l’utilisation d’un point, nous nous battons pour avancer vers une société plus égalitaire et plus inclusive”. Assurer l’égalité dans la langue tendrait vers l’égalité dans les autres sphères sociétales.
En réalité, cette problématique n’est pas nouvelle. En 1791, Olympe de Gouges rédigeait déjà la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Cette réponse à la célèbre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est le premier texte à évoquer une égalité juridique et légale entre hommes et femmes. Le terme d’ “écriture inclusive” n’apparaît qu’en 2017, lorsque que l’éditeur Hatier publie le manuel scolaire Magellan & Galilée, rédigé entièrement avec cette pratique syntaxique.
“Un mot est masculin ou féminin!”
Entre les murs de l’école républicaine justement, la question fait également débat. Manon Becker est enseignante dans une classe de grande-section en école maternelle. “ Il est possible de tout enseigner … Mais l’écriture inclusive n’a pas sa place à l’école. C’est du militantisme, alors que l’école doit être neutre !”
Accusée de dénaturer la langue de Molière, l’argument des opposants à l’écriture inclusive est également de démontrer que son utilisation brouille sa bonne lecture et écriture. Alors que l’Académie française déclarait en 2017 que “la langue française se trouvait en péril mortel”, la jeune enseignante, en poste depuis la rentrée 2023 est catégorique : “ Un enfant a déjà beaucoup de difficultés à comprendre et apprendre toutes les règles de grammaire française. Si on y ajoute l’écriture inclusive, c’est infaisable !”. Bénédicte Lombard est maîtresse pour les classes de CE2 – CM1 depuis 1996. Forte de son expérience, elle ne mâche pas ses mots : “ Quand l’enfant va construire son apprentissage de la langue en grammaire, en conjugaison, en vocabulaire, cela sera étroitement lié à la construction de sa personnalité et de son rapport au monde. Par exemple, quand on travaille autour du genre masculin/féminin, c’est très structurant et apaisant pour un enfant de savoir qu’un mot à un genre définitif : un mot est masculin ou féminin. Toute la chaîne d’accord du groupe nominal dépend de ce nom ! Si on vient insérer un doute dans l’écriture, les élèves vont être complètement perdus.”
Si l’apprentissage et/ou l’utilisation de l’écriture inclusive semble compromis dès le plus jeune âge, les partisans de la cause réclament toutefois son utilisation dans les documents officiels, les actes juridiques, les contrats de travail ou encore les règlements intérieurs d’entreprises. Une recherche de compromis qui ne semble pas ressortir, pour le moment, des débats entre institutions politiques et sociétales.
Colombe Laferté