Lors de l’instauration du couvre-feu national, de 18 heures jusqu’au lendemain 6 heures, toute l’organisation du travail a été chamboulée pour les enseignes alimentaires. Entre gestion des stocks, aménagement des horaires et développement de nouveaux services, comment la grande distribution s’est-elle adaptée à ce changement ?
Une organisation du travail bousculée
En tant qu’industrie de première nécessité, les enseignes alimentaires maintiennent leurs activités durant cette période de crise et redoublent d’efforts afin de permettre aux consommateurs de continuer à s’approvisionner dans les meilleures conditions possibles. La décision du gouvernement de réduire l’amplitude horaire des magasins n’est pas sans conséquences. En plus de perturber leur activité économique, il faut totalement repenser et aménager les horaires de travail des salariés. Pour commencer, on assiste dans plusieurs hypermarchés, comme Carrefour ou Auchan, à de nouvelles habitudes de fréquentation. Les enseignes renforcent donc les équipes de caisse aux horaires avec une forte affluence, sur les plages horaire 11h-13h et 16h-18h. Le planning est également modifié pour les salariés remplissant les rayons. L’objectif étant d’éviter au maximum les croisements avec les clients pour respecter notamment la distanciation sociale. « Nous faisons en sorte que l’hypermarché soit un endroit où on peut venir faire ses courses en toute sécurité » assure Yves Rouault, Directeur Régional des hypermarchés Carrefour en Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA). Le label sanitaire anti-Covid AFNOR Certification atteste de la mise en place de mesures strictes en magasins, tant en matière de sécurité que d’hygiène. Distanciation sociale, port du masque obligatoire et mise à disposition de gel hydro alcoolique sont de rigueur.
Pour rattraper les heures perdues, les préfectures de nombreuses villes ont autorisé les enseignes alimentaires à ouvrir leurs portes le dimanche toute la journée pendant quelques semaines. Cela a permis non seulement aux clients de disposer d’heures supplémentaires pour faire leurs courses. C’était également un moyen pour les salariés qui le souhaitaient de mieux répartir leurs horaires. En effet travailler le dimanche après-midi se faisaient jusqu’ici sur la base du volontariat. Depuis mi-février, les préfectures n’autorisent plus l’ouverture des magasins à ce moment-là pour ne pas léser les petits commerces de proximités qui n’ont pas les mêmes privilèges.
Au niveau de la gestion des stocks, il n’y a pas le même phénomène de rupture comme on a pu l’observer lors du confinement en mars dernier. « Le confinement a permis une meilleure connaissance du comportement des consommateurs et les Français ont pu être rassurés par l’expérience du printemps » note Yves Rouault. La logistique est également revue pour planifier les livraisons de manière décalée, afin de respecter le couvre-feu.
Le développement du service Drive
Le Drive et la livraison à domicile connaissent une envolée sans précédent depuis le début de la pandémie. En effet les consommateurs sont plus inquiets face à la crise sanitaire, notamment avec la peur d’être en contact avec d’autres personnes.
L’évolution du service Drive était déjà en tendance positive depuis quelques années, mais une nette accélération se dessine plus récemment. Dans les hypermarchés Carrefour de la région PACA, les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2019, la croissance de l’activité du Drive était de +29%, de +34% en 2020. Début 2021, le chiffre d’affaires du service Drive bat tous les records avec +40%. La côte part du chiffre d’affaires du Drive dépasse les 10% voir 15% dans certains cas. Cela démontre la nouvelle tendance d’achat des produits de grande consommation au Drive.
Le Groupe Auchan a quant à lui décidé d’exploiter au maximum cette nouvelle direction en développant son concept de drive piéton. Ce concept hybride consiste à développer des points relais en centre-ville pour fournir une alternative aux hypermarchés de périphérie et aux drive classiques, ainsi qu’en complément des offres de livraison à domicile. Pour l’heure, les drive représentent la « première source de livraison du Click & Collect » affirme Pascal Damien, directeur d’enseigne Auchan Drive France. Mais selon lui, il arrivera un moment où les drive seront saturés. Depuis le début de la pandémie Covid, ils ont été rapidement pris d’assaut. Or, une fois que les habitudes sont prises, « il est difficile de faire basculer une clientèle vers un autre parcours de course ».
La crise sanitaire a donc réellement obligé les grandes surfaces à s’adapter et à se réinventer. Reste à voir comment la situation va évoluer afin de prendre ou non de nouvelles mesures.
Chiffre d’affaires, chômage partiel et licenciementAuchan Retail France a été fortement touché par une baisse du chiffre d’affaires d’environ 3% en hypermarchés en 2020. Cette baisse est due à la localisation de ses enseignes. Les plus grands hypermarchés Auchan sont situés au sein de centres commerciaux, qui sont pour la plupart fermés actuellement et enregistrent donc une forte baisse de fréquentation, entre 30% et 40%. Ses implantations frontalières sont également très touchées par les restrictions sanitaires liées à la Covid-19 comme par exemple Auchan Leers, proche de la Belgique. Même chose du côté du Groupe Carrefour, qui a enregistré une baisse du chiffre d’affaires allant de 5% à 15% pour les départements les plus touchés comme l’Ile-de-France ou les Bouches-du-Rhône. « Tout dépend si le magasin bénéficie d’une zone de proximité de ses clients » explique Yves Rouault. Une nouvelle tendance se dessine : plus le magasin est éloigné des lieux de résidence ou des centres d’activité, plus le chiffre d’affaires baisse. Et inversement. Cette baisse de chiffre d’affaires a été compensée par la croissance soutenue du service Drive, qui est à hauteur de 40% pour les deux Groupes. Concernant les licenciements, le Groupe Auchan a annoncé en septembre 2020 la mise en place d’un plan social. Il vise la transformation du travail vers une accélération sur le numérique avec par exemple le développement des caisses automatiques et du Drive. Cette décision va entraîner la suppression d’environ 1 500 emplois. Même si la Direction assure que cette initiative n’a aucun lien avec la crise sanitaire Covid-19, cela créé un sentiment d’injustice chez les salariés. Les héros du confinement qui se sont dévoués au sein des hypermarchés depuis cette période ont été rattrapés par la réalité de la montée en puissance du digital. Situation différente pour le Groupe Carrefour, qui ne déclare aucun licenciement lié à la crise sanitaire. Un chômage partiel a été mis en place uniquement lors de la fermeture des rayons considérés comme « non-essentiels » en octobre dernier, avec des salaires versés à 100%. |
Lucie Rouault